2022 : l'année de tous les scandales
L'affaire débute avec des révélations en cascade. Des influenceurs, souvent installés à Dubaï, sont accusés de pratiques commerciales trompeuses. Le mécanisme est bien rodé : promotion de produits contrefaits ou dangereux via le dropshipping, dissimulation de la nature publicitaire des contenus, marges excessives... La confiance, pourtant au cœur du marketing d'influence, est sérieusement ébranlée.
Plus inquiétant encore, certains créateurs de contenus n'hésitent pas à promouvoir des produits financiers hautement spéculatifs auprès de publics vulnérables. L'achat de faux abonnés et la manipulation des métriques d'engagement deviennent monnaie courante, questionnant la validité même du modèle économique de l'influence.
La réponse : un cadre juridique inédit
Face à ces dérives, la France innove en adoptant la première loi au monde spécifiquement dédiée à l'encadrement de l'influence commerciale. La loi du 9 juin 2023 pose enfin une définition juridique claire de l'influenceur : toute personne qui, contre rémunération, mobilise son influence auprès de son audience pour promouvoir biens, services ou causes. Le texte impose le signalement systématique des contenus publicitaires et interdit la promotion de produits sensibles comme les cryptoactifs ou la chirurgie esthétique. Innovation majeure, il exige également la désignation d'un représentant légal en France pour les influenceurs exerçant depuis l'étranger.
L'autorégulation professionnelle : quand les chartes complètent la loi
En parallèle du cadre légal, le secteur s'est doté d'instruments d'autorégulation qui viennent préciser et enrichir les obligations légales. La charte d'éthique élaborée par Agathe Nicolle pour l'agence WOÔ pose les fondements d'une relation équilibrée entre marques, agences et influenceurs. Elle met l'accent sur l'authenticité des collaborations, exigeant une véritable affinité entre la marque et le créateur de contenus. Cette approche dépasse la simple obligation légale de transparence : il ne s'agit plus seulement de signaler un partenariat commercial, mais de garantir sa pertinence et sa sincérité pour la communauté.
L’agence « Clark Influence » va plus loin en développant une charte articulée autour de trois piliers : authenticité, éthique et écoresponsabilité. Cette dernière dimension, absente du cadre légal, témoigne d'une volonté d'ancrer l'influence dans une démarche de responsabilité sociale élargie. La charte encourage les créateurs à privilégier les marques engagées dans une démarche durable et à sensibiliser leur communauté aux enjeux environnementaux. Elle définit également des critères stricts pour la sélection des partenariats, créant ainsi un cadre de référence qui va au-delà des exigences légales minimales.
Ces chartes préfigurent une nouvelle conception du métier d'influenceur, où la responsabilité sociale devient un élément central de l'identité professionnelle. Elles proposent un modèle d'influence qui ne se définit plus uniquement par sa capacité à générer des ventes, mais par sa contribution positive à la société.
Enjeux et zones grises : les défis d'une régulation efficace
La mise en place de ce double cadre, légal et déontologique, soulève néanmoins des questions fondamentales sur la nature même du marketing d'influence. Au cœur de ces interrogations se trouve le paradoxe de l'authenticité marchande : comment maintenir une relation authentique avec sa communauté dans un contexte de monétisation croissante ? La porosité entre contenus personnels et commerciaux, constitutive du modèle, rend parfois difficile l'application des obligations de transparence. Quatre points méritent d’être examinés
- Sur le plan pratique, la dimension internationale du phénomène continue de poser des défis majeurs. Si la loi française impose désormais un représentant légal aux influenceurs expatriés, son effectivité reste à démontrer dans un environnement numérique sans frontières. L'absence d'harmonisation internationale crée des opportunités d'arbitrage réglementaire que même les chartes les plus exigeantes peinent à contrer.
- La protection des publics vulnérables soulève également des questions complexes. Les modalités de vérification de l'âge des utilisateurs et de limitation de l'exposition des mineurs aux contenus commerciaux restent problématiques. Cette difficulté technique rejoint des enjeux plus fondamentaux sur la nature de l'influence à l'ère numérique et sa régulation.
- La responsabilité des plateformes constitue une autre zone grise majeure. Leur statut d'hébergeur limite leur implication dans la régulation des pratiques d'influence, même si le Digital Services Act européen renforce leurs obligations de modération. Cette situation pose la question de la répartition des responsabilités entre les différents acteurs de l'écosystème.
- La problématique de l'évaluation de l'authenticité des communautés et de la détection des contenus sponsorisés non déclarés illustre la nécessité d'une approche plus systémique. Au-delà des aspects techniques, elle invite à repenser les métriques d'influence pour intégrer des critères qualitatifs et éthiques.
Vers une influence responsable ?
L'évolution du marketing d'influence illustre la capacité d'adaptation du système juridique et des acteurs professionnels face aux nouvelles pratiques commerciales. Le modèle français de co-régulation, associant contrainte légale et autorégulation professionnelle, pourrait inspirer d'autres juridictions. Il suggère que la construction d'une influence responsable nécessite l'engagement de l'ensemble des parties prenantes : créateurs de contenus, marques, plateformes, régulateurs et consommateurs.
La professionnalisation croissante du secteur, marquée par l'émergence de formations spécialisées et de certifications, témoigne d'une prise de conscience collective. Cependant, les défis persistants appellent à poursuivre la réflexion sur la nature de l'influence numérique et ses implications éthiques. L'enjeu n'est plus seulement de réguler des pratiques commerciales, mais de construire un modèle d'influence socialement responsable à l'ère numérique.
Quelques références
- Abecassis, F., Carré, E., & Delaherche, M. (2023). Le guide du marketing d'influence - 2e édition, L’Harmattan
- ARPP. (2024) L'influence responsable : quand la déontologie se met au service du marketing d'influence.
- Clark Influence. (2024). La charte éthique.
- Gouvernement Français. (s.d.). Guide de bonne conduite des influenceurs.
- Le Bouard, N. (2023). Le statut juridique des influenceurs : enjeux et responsabilités.
- Nicolle, A. (2021). Charte d'éthique du marketing d'influence. Agence WOÔ.
- Tsamo Dongmo, A. (2024). Éthique et pratiques discursives des « influenceurs Web pour la paix ». Interfaces numériques, 1/2024.